Chauvaux, des grottes et des hommes

Avec l'aimable autorisation de l'auteur  © E. Aidans, accordée au MAHM

Le riche héritage du massif de Chauvaux (Chauveau) à Godinne

Un massif rocheux bien particulier

Entaillé en sa partie inférieure par la voie ferrée, tranché à mi-hauteur par la route dite de la corniche et dominé par le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) en bordure du plateau, le massif compte plusieurs sites occupés au cours de la préhistoire.

le sanatorium surplombant le massif de Chauvaux

Carte postale ancienne : le sanatorium surplombant le massif
de Chauvaux en 1904.

Au musée, en la salle « La Meuse », 5 vitrines sont consacrées en exposition permanente à deux sites d’intérêt majeur : celui du Grand abri à Chauvaux inférieur et le site de CH1-CH2 à Chauveau supérieur (graphie ancienne Chauvaux, nouvelle : Chauveau).

Des autres cavités découvertes et explorées par des amateurs, citons le Trou du Ry où une sépulture double a été trouvée en 1942, les restes humains sont conservés à l’IRSNB. Notons aussi le Trou du Blaireau qui a révélé du charbon de bois, mais pas de silex ; en juillet 1985, une aiguille à chas en os y a été trouvée.

Les découvertes successives ont amené l’ASBL « Le Patrimoine de Godinne » à créer un musée, en bord de la Meuse, non loin du lieu de vie et de mort des Préhistoriques.

À Chauvaux inférieur, en contre-bas de la route de la corniche

De gauche à droite : l’impressionnant abri rocheux, vue générale du Grand Abri, niche et trou fouillés au 19e s.


12 000 ans de préhistoire au Grand Abri de Chauvaux

Trois phases principales de recherches archéologiques menées sur le site peuvent être évoquées.

1ère phase : 1842-1852 :
Antoine Spring et les « tribus cannibales »

Bien avant les travaux de construction de la ligne de chemin de fer mise en service en 1862, la première fouille archéologique en Haute-Meuse révèle l’existence d’hommes préhistoriques dans une grotte-abri appelée Caverne de Chauvaux ou Trou de Chauvaux dans les publications de l’époque.

La présence d’ossements était connue des habitants du pays qui avaient donné à l’excavation naturelle le nom de saloit (saloir). Mis au courant, Antoine Spring, jeune professeur de l’Université de Liège, dégage en 1842 cette « fissure ou crevasse dans le rocher » (selon son expression) pour s’attaquer ensuite à la brèche ossifère. Face à une grotte contenant de nombreux ossements humains, Spring est pratiquement le premier scientifique à se trouver devant un domaine à peu près vierge d’interprétation (à part quelques approches de Schmerling, pionnier de la recherche en milieu karstique en région liégeoise en 1829). Il publie le rapport de ses fouilles après 10 ans d’étude et de réflexion.

Coup de tonnerre dans le monde scientifique : observant les os longs brisés humains et d’animaux, Antoine Spring déclare en 1853 : « … pour moi, les os de Chauvaux sont les restes d’un festin de cannibales ». Estimation par lui de l’époque de cette pratique : « avant les Celtes, à l’âge de pierre ».

entrée de la « caverne » de chauvaux fouillée par Spring

Au Grand Abri de Chauvaux, entrée de la « caverne » fouillée par Spring.

À l’époque où Spring fouille à Chauvaux, les os humains trouvés dans des grottes étaient considérés comme restes des repas de carnassiers, ou amenés par des eaux tumultueuses. À Chauvaux, leur nombre important était intrigant et difficile à interpréter.

L’interprétation de l’ossuaire comme vestige de pratiques cannibales cadre bien avec l’image de l’homme préhistorique qu’avaient les chercheurs du 19e s. « La pratique du cannibalisme, au moins occasionnel, par les hommes préhistoriques, tant les Néandertaliens que les Néolithiques, est largement acceptée de nos jours. [...] Dans le cas précis de Chauvaux, les ossements humains ne sont malheureusement pas, pour la plupart, conservés ; on ne saura dès lors jamais si Spring n’avait pas, en partie, raison [...]»

(M. Toussaint, 2001).

2ème phase : 1872-1875 :
Gustave Soreil et les vieillards accroupis

10 ans après la construction de la voie ferrée, le même site réserve une autre surprise. Sous l’abri rocheux de grandes dimensions, à quelques mètres de la fissure fouillée par Spring, deux squelettes complets adossés au rocher sont dégagés. Entourés de pierres les ayant préservés des carnassiers, les deux squelettes ont tous les signes de sénilité. Ils reposent dans de petites fosses, en position accroupie ; les têtes, au-dessus des autres ossements, ont la face tournée vers la vallée. C’est l’ingénieur Gustave Soreil qui en fait la découverte pour le compte de la Société Archéologique de Namur (SAN), fondée en 1845. D’autres restes humains sont retrouvés par G. Soreil sous l’abri, qualifié alors d’Abri de Chauvaux.

Expo archéologie Godinne
Mis au jour par G. Soreil, les deux squelettes exposés au musée archéologique de Godinne.

Ayant parcouru le plateau aride qui couronne les escarpements de la caverne et y trouvant une multitude de silex néolithiques, il établit la corrélation entre l’habitat avec vue sur la vallée depuis une clairière au bord du plateau et la sépulture de Chauvaux, quelques 18 mètres au-dessus de l’actuel niveau du fleuve.

G. Soreil publie ses travaux en 1875. Il rejette la théorie du cannibalisme de Spring, déjà contestée par le célèbre pionnier de l’archéologie Édouard Dupont (Dupont, 1871). Pour Soreil, la caverne n’est pas l’antre d’un festin de cannibales mais bien un lieu de dépôt de défunts du Néolithique.

Outre la position accroupie des deux défunts, une particularité crânienne interpelle le monde scientifique de l’époque : les deux crânes sont très dolichocéphales (allongés). R. Virchow, célèbre anthropologue Allemand, étudie le crâne le mieux conservé et affirme que c’est le plus dolichocéphale qui ait été trouvé en Europe.

3ème phase : 1986-1992 :
deux surprises dans les dépôts de pente

Les recherches du 19e s. avaient-elles été approfondies jusqu’au rocher ? Un siècle après Soreil, sous la direction de l’archéologue Angélika Becker et de l’anthropologue Michel Toussaint, une campagne de fouilles est activée dans une tranchée amorcée initialement par Paul du Ry, depuis la terrasse de la caverne jusqu’à la voie ferrée. Sous une épaisse couche de déblais contenant quelques ossements humains néolithiques et du matériel archéologique provenant de l’ossuaire fouillé au siècle dernier, les fouilles ont révélé deux niveaux d’occupation en place : l’un du Mésolithique (datation : 6.200 ans av. J.C.) et l’autre niveau du Paléolithique supérieur (12.000 ans av. J.C).

Plusieurs milliers d’artefacts mésolithiques témoignent d’une occupation d’une certaine durée par les derniers chasseurs-cueilleurs. À l’époque, le climat était tempéré. Outre les outils communs, notons la présence de microlithes, objets les plus caractéristiques des industries mésolithiques (petits silex de forme géométrique qui servaient essentiellement de pointes de flèches et de barbelures de harpons).

À la fin du Paléolithique supérieur, un groupe de chasseurs-cueilleurs nomades a occupé le Grand Abri le temps d’une saison peut-être, y amenant probablement une partie de leurs instruments; d’autres ont été taillés sur place à partir de rognons de silex importés.

Tranchée de fouille au Grand Abri
Tranchée de fouille au Grand Abri.

Le site du Grand Abri, bien orienté, d’accès difficile et dominant la Meuse, a donc attiré l’Homme moderne au cours des trois grandes phases de son évolution culturelle : Paléolithique supérieur, Mésolithique et Néolithique. Une telle succession permet d’étudier l’évolution de l’économie en rapport avec les modifications de l’environnement. Le Grand Abri a, en outre, été le seul gisement à Godinne à avoir bénéficié de fouilles pluridisciplinaires.

Source : A. Becker et M. Toussaint. Le Patrimoine archéologique de Wallonie. 1993.

À Chauveau supérieur, au sommet du versant

Les deux grottes voisines, CH2 (à gauche) et CH1 (à droite).

 

Les grottes Chauveau 1 (CH1) et Chauveau 2 (CH2)

Depuis le Néolithique moyen jusqu’à l’Âge du Bronze ancien

Ces petites cavités contiguës, très proches du plateau où de nombreux silex furent trouvés par G. Soreil un siècle plus tôt, furent explorées et fouillées en 1976 et 1977 par deux adolescents Godinnois, Gaëtan Boden et Thierry Fastrès. Guidés à cet endroit par Joseph Boden, archéologue amateur qui les conseillait, leurs notes, mesures et croquis ont fixé la découverte. Ce travail a conduit à une publication en 1983 (Boné et al., 1983) et a suscité la naissance du musée archéologique de Godinne, qui en possède tous les documents ; Gaëtan Boden en est la mémoire vivante.

À CH1, l’individu le plus ancien est un homme décédé il y a 5000 ans. Son squelette, sans tête, a été découvert en connexion anatomique sur le sol d’argile dure, sous un cairn (amas de pierres). Par la suite, durant des siècles, les corps de jeunes enfants, d’adolescents, d’adultes des deux sexes et de vieillards ont été déposés dans les deux grottes, leurs très nombreux ossements retrouvés déconnectés et souvent brisés. CH1 a aussi servi d’habitat, la dernière et courte occupation du site, à l’Âge du Bronze ancien, est attestée par des tessons de céramique trouvés dans la couche supérieure de CH1.

Trois phases culturelles du Néolithique

En 2005, une nouvelle interprétation des dépôts funéraires de la grotte CH1 reposant sur des indices stratigraphiques, archéologiques et radiocarbones (Toussaint, 2005), indique que trois phases culturelles pourraient bien être attestées :

  • une sépulture individuelle du Néolithique moyen ;
  • une possible sépulture plurielle du Néolithique récent, avec flèches tranchantes ;
  • une sépulture plurielle du Néolithique final, associée à des pointes à pédoncules et ailerons naissants.

Homme sous cairn

Homme sous cairn. Datation 4.970 B.P. (CH1)

 

Pointe de flèche   

Pointe de flèche (CH1)

Grande urne. Âge du Bronze ancien

Grande urne. Âge du Bronze ancien (CH1)

Dessins extraits de la publication de l’étude portant sur le matériel osseux, lithique, céramique et mobilier dégagé des deux petites grottes, menée en 1983 sous la direction d’Édouard Boné

Le cœur du musée

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